Dans quelques jours ou semaines, le diagnostic, le traitement et la prise en charge de la maladie de Lyme devraient changer grâce à un nouveau protocole. Selon nos informations, les tests, très contestés, seront encore utilisés mais ils ne seront plus indispensables pour le diagnostic qui reposera avant tout sur l’examen clinique. Une victoire pour les malades.
La tique, vecteur de la maladie de Lyme chez l’homme, transmet par morsure plusieurs espèces de bactéries pathogènes dont Borrelia burgdorferi.
© BLANCHOT PHILIPPE / HEMIS.FR / AFP
PROTOCOLE. Les malades vont-ils gagner leur combat ? Ce combat qui depuis des années les oppose aux autorités de santé et à une partie de la communauté médicale pour tout ce qui touche au diagnostic, au traitement et à la prise en charge de la maladie de Lyme. En effet, ces jours-ci, la version quasi définitive du protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) doit être validée par la Haute Autorité de santé (HAS). Élaboré depuis un peu plus d’un an par des médecins et associations de patients, il doit définir les modalités de prise en charge de la maladie de Lyme provoquée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Il remplacera de facto le protocole de la conférence de consensus de 2006 largement contestée par les malades et certains scientifiques.
Au centre de la polémique : les tests de diagnostic. Dans le consensus de 2006, le diagnostic ne pouvait être posé qu’à partir de deux tests sérologiques, les fameux Elisa et Western Blot. Problème : depuis des années, ces tests sont vivement critiqués pour leur manque de fiabilité. De nombreux malades souffrant de symptômes souvent très handicapants mais déclarés négatifs par la sérologie se retrouvent alors dans une impasse thérapeutique puisqu’ils ne peuvent bénéficier des cures d’antibiotiques prescrites pour lutter contre la maladie.
Un examen clinique pour poser le diagnostic
TESTS. L’une des premières revendications des associations de patients était la suppression de ces tests. Le PNDS dont le contenu sera bientôt rendu public, sera donc particulièrement scruté sur ce point-là. Mais d’après nos informations, les tests ne seraient pas supprimés du protocole. En revanche, ils ne seraient plus indispensables à la reconnaissance de la maladie. Ce serait désormais l’examen clinique qui permettra au médecin de poser le diagnostic de la maladie de Lyme, même si la sérologie est négative. Les symptômes l’emportent donc sur les tests. Si cela est confirmé, il s’agit alors d’un désaveu pour le Centre national de référence (CNR) des borrélioses (dont la maladie de Lyme fait partie), dirigé par le professeur Benoît Jaulhac, soutien indéfectible de la fiabilité des tests. Et par conséquent, une victoire pour les associations de patients.
Autre point de discorde, la reconnaissance de la maladie chronique, en particulier chez des patients ayant bénéficié du traitement par antibiotiques, mais chez lesquels les symptômes perdurent. L’état de ces patients suggère que Borrelia, la bactérie responsable de la maladie, peut persister dans l’organisme. Même après le traitement antibiotique. Une hypothèse encore vivement contestée par le CNR qui estime que le traitement est toujours efficace.
Le nouveau protocole en cours de validation à la HAS pourra pourtant s’appuyer sur plusieurs publications scientifiques récentes qui semblent remettre en cause les positions du CNR. Ainsi, en décembre, un article de la revue de référence, Frontiers in Medicine, montrait que la maladie de Lyme pouvait être diagnostiquée de façon fiable par la mesure des symptômes lors d’un examen clinique. Les chercheurs ont pour cela comparé des personnes saines (groupe contrôle), n’ayant jamais été atteints par la maladie, à des patients présentant le “Syndrome post-traitement de la maladie de Lyme” ou PTLDS. Ce dernier correspond à des personnes ayant été diagnostiquées Lyme puis traitées de manière conventionnelle par antibiotique mais souffrant toujours des symptômes de la maladie. Les résultats de cette étude indiquent clairement qu’à la différence des individus sains, les malades PTLDS présentent toujours les mêmes symptômes : fatigue importante, douleur musculosquelettique, perturbation du sommeil et dépression. “Le diagnostic du PTLDS est basé sur la documentation précise de l’histoire du traitement de la maladie de Lyme chez le patient. C’est un diagnostic d’exclusion des autres conditions possibles ayant les mêmes symptômes”, nous a confié John Aucott, auteur principal de l’étude et spécialiste de la maladie de Lyme à la Johns Hopkins University School of Medicine de Baltimore (États-Unis).
CCL19. Concernant les examens sérologiques, le chercheur confirme leur manque de fiabilité : “Les tests Elisa et Western Blot peuvent être négatifs lors de l’observation du PTLDS. Certains essaient de les utiliser pour le diagnostic du PTLDS, mais ils ne sont pas assez sensibles et spécifiques.” L’équipe de John Aucott travaille d’ailleurs sur une autre piste, la présence d’un nouveau biomarqueur potentiel, le CCL19, une petite protéine qui attire certaines cellules du système immunitaire (lymphocyte T) vers le site d’inflammation (où se déroule l’infection). “Si le niveau de CCL19 est toujours élevé après un traitement antibiotique, cela signifie que le système immunitaire est encore activé. Cette activation peut être due au fait qu’il reste des antigènes de la bactérie ou des bactéries intactes, responsables de l’inflammation”, explique John Aucott, qui admet que ces travaux sont encore préliminaires et que d’autres biomarqueurs de la maladie doivent être analysés.
La bactérie peut survivre au traitement antibiotique
Reste que la persistance des symptômes pourrait s’expliquer simplement par la persistance de la bactérie dans l’organisme. C’est ce que montrent deux récentes études menées sur le macaque rhésus et publiées dans The American journal of Pathology et Plos One. Les chercheurs ont infecté expérimentalement les singes puis les ont traités par antibiotique comme chez l’homme. Douze à treize mois après l’infection suivie du traitement, ils observent une inflammation de différents tissus (méninges, tronc cérébral, nerfs des membres antérieurs et postérieurs, vessie, muscles squelettiques, myocarde, etc.). En d’autres termes, une réponse immunitaire. À l’aide de nombreuses techniques d’analyse, ils ont finalement retrouvé dans certains tissus la bactérie en faible quantité, mais intacte et toujours active. Conclusion, non seulement elle peut survivre au traitement antibiotique, mais en plus elle reste pathologique. Du moins, chez le macaque rhésus. “Mais c’est le meilleur modèle animal pour étudier la maladie de Lyme, explique Monica Embers, la chercheuse qui a dirigé ces recherches à la Tulane University (États-Unis). C’est le macaque qui mime le mieux le caractère multi-organe de la maladie chez l’homme. À la différence des autres modèles animaux, les marqueurs de la maladie comme l’érythème migrant, l’atteinte du cœur, des articulations et du système nerveux central et périphérique sont tous observés. En plus, la propagation de la bactérie, sa concentration dans les tissues et la réponse immunitaire à l’infection sont très similaires à ce que l’on observe chez l’homme.”
Pour expliquer la persistance du pathogène après le traitement antibiotique, la chercheuse évoque ses capacités d’adaptation : “Notre hypothèse est que Borrelia s’est adaptée à l’hôte en échappant à la reconnaissance du système immunitaire et est entrée dans une phase de croissance lente, peut-être de dormance, suite au traitement antibiotique. Il faut noter que nous avons utilisé la doxycycline, l’antibiotique le plus utilisé chez l’homme contre la maladie de Lyme. Or, cet antibiotique ne tue pas la bactérie, mais stoppe seulement sa croissance. De sorte qu’une Borrelia en phase de croissance lente peut être tolérante à la doxycycline et reprendre sa croissance quand elle n’est plus exposée à l’antibiotique.”
Des symptômes attribués en partie à une une inflammation résiduelle
Les résultats de l’équipe de Monica Embers montrent que les symptômes de la maladie chronique peuvent être en partie attribués à une inflammation résiduelle dans et autour des tissus qui abritent une faible quantité de bactéries persistantes adaptées à l’hôte. Avec ces travaux, il devient donc de plus en plus difficile de nier l’existence d’une maladie chronique même après un traitement aux antibiotiques. Quant aux tests, leur manque de fiabilité ne fait plus guère de doute. Même Western Blot, qui passait pour être plus fiable qu’Elisa, n’échappe pas aux critiques : “Des tests de diagnostic nouveaux et améliorés sont à l’horizon et cela est absolument nécessaire. Le Western Blot est une technique vieillotte avec de possibles interprétations subjectives et une spécificité réduire. Il doit être remplacé par quelque chose de plus performant”, conclu Monica Embers.