Ces agriculteurs qui veulent cultiver du cannabis thérapeutique

Sans attendre les autorisations, des agriculteurs de la Creuse se sont lancés dans la production de chanvre pour un usage médicinal.

Un champ qui s’étire en contrebas d’une ferme, jusqu’à une prairie bordée de chênes, d’aubépines et de frênes. C’est là, sur un hectare, au milieu de la Creuse, que pourrait voir le jour la première production de cannabis thérapeutique en France. « S’il pleut, dans quelques jours, les pousses sortiront, j’ai hâte », sourit Marien, solide gaillard de 30 ans au regard bleu transparent.

La variété qu’il vient de semer est la même que celle qu’il cultive d’habitude. Elle est quasiment sans THC, son principe actif du cannabis. D’ordinaire, il transforme les tiges en isolant thermique, les graines en huile alimentaire bio. Cette fois, il gardera seulement les fleurs, qui écloront cet été. Elles contiennent du CBD, substance utilisée dans la fabrication de médicaments vendus à l’étranger. Marien compte les vendre sous forme de tisane aux propriétés calmantes.

Pas question de louper le nouveau marché du «pétrole vert»

Est-ce bien légal alors que la Creuse n’a pas encore reçu l’autorisation de mener l’expérimentation ? Le garçon fait la moue, hésite. « La loi n’interdit pas le CBD, pour autant elle ne l’autorise pas, c’est flou. Ce qui serait bien, c’est qu’on obtienne vite cette dérogation. Le gouvernement devrait se bouger, le département attend, faisons sauter les barrières. » Lui a préféré lever la première. Pas question de louper le nouveau marché du « pétrole vert ». La demande est là. Il y a deux jours, des entrepreneurs suisses, intéressés, l’ont même contacté pour savoir s’il vendait des fleurs.

« Avec un hectare, on pourrait faire vivre une famille », calcule-t-il. Bien loin de la triste réalité actuelle. En 2012, l’agriculteur, dessinateur industriel de formation, a racheté ce corps de ferme au bout d’un chemin verdoyant. Quatre-vingts hectares de blé, tournesol, sarrasin et vingt-trois hectares de chanvre. Il en plante tous les ans depuis cinq ans. « Tu te tires un smic, toi ? », lance-t-il à Mathieu, son copain agriculteur et éleveur de volailles bio. « Pas encore », rétorque-t-il. « Moi non plus. »

Il reprend : « Aujourd’hui, nos cultures ne nous permettent pas de nous payer. » Plus frileux, Mathieu, lui, préfère avoir le feu vert de l’Etat avant de se lancer. « L’idée de remplacer des traitements lourds par du chanvre thérapeutique m’emballe aussi. » Alors il patientera, comme Théodore. C’est à une cinquantaine de kilomètres plus loin que l’on retrouve ce biochimiste de formation, 38 ans, devenu agriculteur et producteur de fromage de chèvres à Chavanat, sur ses terres natales.

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Théodore, agriculteur et producteur de fromage de chèvres à Chavanat, a déjà planté du chanvre alimentaire il y a quatre ans. LP/Olivier CorsanEn contrebas d’une route, comme oubliée des hommes, plusieurs granges surgissent au milieu de la végétation. Cet écologiste à la barbichette et cheveux ébouriffés a déjà planté du chanvre alimentaire il y a quatre ans. L’idée de faire du CBD le botte. « Le chanvre fait partie de la pharmacopée ancestrale, on a sûrement un savoir-faire à retrouver. » Mais à certaines conditions.

«Le chanvre fait partie de la pharmacopée ancestrale»

Théodore voudrait vendre ses fleurs sur un stand d’herboristerie au marché. Un plus avec le fromage de chèvres. Car pour lui, pas question d’enrichir les labos. « Si c’est pour qu’ils en fassent des médocs, ça ne me dit rien. »

Son voisin Johann, à dizaines de kilomètres de là, a moins de scrupules. Produire du CBD, cet ingénieur en technique végétale en rêve jour et nuit. « Il y a un hangar là-bas de 2000 m² que la mairie veut vendre. Je veux le louer et faire pousser à l’intérieur du cannabis thérapeutique si on a la dérogation ! Ça veut dire une production à l’année », s’enthousiasme le trentenaire, casquette noire vissée sur la tête, tatouage le long des bras. Dans son salon, entouré de ses deux chiens, il parle fort. S’en excuse : « Désolé, je suis à fond. Je veux que la Creuse devienne la vitrine du savoir faire français sur le chanvre thérapeutique. On est prêt. »

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